Cycle de conférences : Les Jeudis de L'Archéo-Logis

"Les premiers paysans"

 par Jean-Louis Voruz, archéologue néolithicien

(Juillet 1999, CDERAD, Archéo-Logis de Goudet)

 

 

 Il était question ce soir du 29 juillet 1999 de "préhistoire récente", du huitième au troisième millénaire avant notre ère, et nous avons discuté de ce qui est souvent considéré en préhistoire comme un des faits les plus marquants de l'histoire de l'humanité, l'invention de la paysannerie. Cette invention capitale a fait passer l'homme du stade de prédateur exploitant les ressources naturelles (chasse, pêche et cueillette) au stade de producteur maîtrisant ses ressources alimentaires. La disparition des sociétés de chasseurs et l'apparition de l'économie agro-pastorale constitue un événement majeur dans l'histoire des sociétés humaines  la paysannerie va conditionner très longtemps l'organisation sociale du peuplement humain, puisqu'elle est à la base de la sociabilité villageoise et de la division du paysage en terroirs de plus en plus délimités, ce qui va bouleverser l'équilibre écologique, la relation de l'homme avec son environnement.

En termes archéologiques, ce passage, qui correspond à la fin du Mésolithique, dernier épisode de "l'âge de la pierre taillée", puis au développement du Néolithique ("l'âge de la pierre polie"), est souvent qualifié de "révolution néolithique", ou, plus justement, de néolithisation. 

Comment s'est faite puis s'est diffusée cette invention ? Pourquoi a-t-elle connu un Si large succès dans toutes les zones tempérées du globe ? Pourquoi a-t-elle Si profondément modifié les pratiques sociales, funéraires et religieuses, et quelles conséquences a-t-elle eues sur l'habitat et sur l'artisanat? 

Pour l'Europe occidentale, on montrera que l'économie agro-pastorale n'est pas une invention locale, mais qu'elle s'est lentement propagée à partir du Proche-Orient. Dans le Bassin rhodanien, c'est au cours du sixième millénaire qu'elle apparaît, soit par acculturation progressive des populations de chasseurs mésolithiques autochtones (emprunts de proche en proche de techniques néolithiques), soit par migration depuis les rivages méditerranéens de paysans colonisateurs. Dans cette dernière hypothèse, on peut imaginer l'existence d'un front pionnier de colonisation opposant les chasseurs locaux aux paysans migrants, front se déplaçant du sud au nord jusqu'à totale assimilation des chasseurs, ou leur refoulement dans des marges géographiques.

 Dans une deuxième phase couvrant tout le cinquième millénaire, on assiste au défrichement progressif de la grande forêt qui auparavant recouvrait toute la France, au passage d'une agriculture itinérante sur brûlis à une agriculture fixe, puis à l'ancrage progressif des sociétés dans des territoires bien contrôlés (des conflits sont révélés par le développement de l'habitat défensif). 

Enfin, les quatrième et troisième millénaires se caractérisent par la mise en place d'une idéologie sociale et religieuse de plus en plus contraignante, comme le montrent ces manifestations spectaculaires que constituent le mégalithisme (dolmens, tumulus et menhirs), l'art gravé ou les sépultures collectives. Le succès de l'économie néolithique est alors total, malgré quelques crises écologiques dues à de trop forts défrichements, particulièrement dans le Midi où la garrigue va remplacer définitivement la forêt.